#Mots-clés: taxe sur les services numériques, TSN, Digital services tax, DST, économie numérique, Droit de l’Union européenne, constitution, convention internationale, convention fiscale, assiette, taux, modalités d’application, contentieux
#Auteur: Annabelle¤ BAILLEUL-MIRABAUD
#Qualités: Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
#Auteur: Christophe¤ LECLÈRE
#Qualités: Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
#Auteur: Amélie¤ RETUREAU
#Qualités: Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
Nous dressons un bilan de sept années d’application de la taxe sur les services numériques (TSN) en France, en mettant en perspective sa genèse, ses objectifs, ses adaptations législatives et doctrinales, ainsi que les principaux contentieux qui ont déjà jalonné son application.
La TSN naît d’un double constat d’inadéquation des règles fiscales internationales aux spécificités de l’économie numérique et d’échec des tentatives européennes d’harmonisation. Après l’impulsion de l’OCDE dans le cadre de l’action 1 du plan BEPS, l’absence de solution coordonnée et l’échec d’une directive européenne ont conduit la France à instaurer en 2019 une taxe nationale de 3 % sur certains services numériques (intermédiation et publicité ciblée) dont l’application est conditionnée par le franchissement de seuils d’assujettissement mondiaux et français (V. § 2 et 8).
Sur le plan matériel, la TSN vise les grands acteurs dont les modèles tirent une part déterminante de valeur de l’activité des utilisateurs en France, par la mise à disposition d’interfaces d’intermédiation ou de services de publicité ciblée. L’assiette est constituée des encaissements liés aux services taxables rattachables à la France, indépendamment de la localisation de l’utilisateur (V. § 3). Dès l’origine, des interrogations ont porté sur la constitutionnalité, l’articulation avec le droit de l’UE et les conventions fiscales, et sur la compatibilité des critères de rattachement et de seuils, examinées et largement levées dans l’avis du Conseil d’État de 2019 (V. § 4).
L’application de la TSN s’inscrit dans un contexte international sous tension, marqué par l’opposition américaine (V. § 9).
Au plan interne, le principe même de la TSN a été récemment contesté par voie de question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a jugé la taxe conforme, en validant le ciblage des services dont la valeur repose sur l’activité des utilisateurs, le double seuil mondial et national apprécié au niveau du groupe pour prévenir la fragmentation, la rationalité des critères de territorialité, le caractère non confiscatoire du taux et l’absence d’atteinte aux principes d’égalité. Les griefs tirés de l’assiette, des effets de seuil, des exclusions sectorielles et des règles transitoires ont également été écartés (V. § 12).
S’agissant des modalités d’application, deux fronts contentieux ont marqué la période. D’abord, un recours pour excès de pouvoir a conduit le Conseil d’État à censurer des commentaires administratifs qui restreignaient indûment l’exclusion de l’assiette de la taxe des prestations intragroupes et des jeux multi-joueurs en ligne, ainsi que certaines extensions de l’assiette au-delà de ce que permettait la notion d’opération indépendante au regard de la TVA. L’administration a tiré les conséquences de cette décision avant que le législateur ne réintroduise par la loi de finances pour 2023 des limitations substantielles aux exonérations, applicables dès 2022 (V. § 18). Ensuite, un jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, relatif à la place de marché d’Amazon, a exclu de l’assiette les offres « Expédié par Amazon » et « Amazon Prime », qualifiées d’opérations indépendantes de l’intermédiation taxable selon l’analyse des opérations complexes uniques en TVA, illustrant la nécessaire granularité de l’analyse économique et fonctionnelle des services facturés aux utilisateurs (V. § 22).
En conclusion, la TSN demeure un instrument fiscal emblématique et évolutif, à la croisée de considérations de politique fiscale internationale, de conformité constitutionnelle et européenne, et d’une ingénierie d’assiette complexe. Si les décisions récentes confirment la robustesse du principe et des paramètres fondamentaux de la taxe, l’issue des négociations internationales sur le Pilier 1, la pérennité des ajustements législatifs et l’affinement contentieux de l’assiette, en particulier pour les plateformes multi-services, continuent de conditionner sa trajectoire et son maintien à moyen terme (V. § 26).