#Mots-clés: Prix de transfert, Avances sans intérêt, entreprise étrangère liée, Renonciation à recettes, Transfert indirect de bénéfices à l’étranger, Charge de la preuve
#Article du CGI/LPF: 57
La décision du Conseil d’État, mentionnée aux tables du Recueil Lebon, précise le régime de la charge de la preuve, dans le cadre de l’article 57 du CGI, en cas de d’avances consenties sans intérêt à une entreprise étrangère liée.
Selon les faits de l’espèce, une société française avait mis à la disposition de quatre filiales roumaines des sommes financées pour partie par emprunt et pour partie sur ses fonds propres en contrepartie desquelles elle n’a perçu aucun intérêt. L’administration fiscale a regardé ces renonciations à recettes, dont elle a évalué le montant en appliquant aux sommes en cause les taux d’intérêt moyens auxquels la société française s’était elle-même endettée, comme des transferts indirects de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI, en l’absence de preuve apportée par la société que les avantages en cause avaient eu pour elle des contreparties au moins équivalentes et a, en conséquence, réintégré aux résultats déclarés par la société au titre des exercices clos de 2011 à 2014 les montants correspondants.
Le TA de Pau, sur saisine de la société, a validé la position de l’administration fiscale. La CAA de Bordeaux a, par un arrêt du 22 novembre 2022, partiellement fait droit à l’appel de la société Egide agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société française. En effet, si la cour a maintenu le principe des impositions en litige, elle a en revanche limité le montant des transferts indirects de bénéfices réintégrés aux résultats de la société à raison des avances sans intérêt consenties à ses filiales étrangères et financées sur ses fonds propres en appliquant les taux moyens des avances sur titres pratiqués par la Banque de France d’un niveau sensiblement inférieur à ceux retenus par l’administration fiscale (CAA Bordeaux, 22 nov. 2022, n° 21BX00968, Sté Fibusa, C : FI 2-2023, n° 4, § 8, comm. E. Lesprit, B. Conort et M. Arrighi).
Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique s’est pourvu en cassation contre cet arrêt. Il soutient que la charge de la preuve de l’exagération du taux retenu par l’administration incombait à la société et que la cour a commis une erreur de droit en faisant application d’un régime de preuve objective.
Le Conseil d’État annule l’arrêt de la CAA de Bordeaux.
Il juge que les avantages consentis par une entreprise imposable en France au profit d’une entreprise située hors de France sous la forme de l’octroi de prêts ou d’avances sans intérêt constituent l’un des moyens de transfert indirect de bénéfices à l’étranger.
Le Conseil d’État précise que lorsque l’administration constate qu’un prêt ou une avance a été consenti sans intérêt par une entreprise imposable en France à une entreprise étrangère qui lui est liée, il appartient au contribuable de démontrer que le taux d’intérêt qu’entend retenir l’administration pour arrêter le montant du transfert indirect de bénéfices à l’étranger excède le taux d’intérêt que l’entreprise étrangère emprunteuse aurait pu obtenir d’un prêteur indépendant dans les conditions du marché. À défaut, il lui appartient, pour combattre cette présomption, d’apporter la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties.
Ainsi, le Conseil d’État relève que pour juger qu’il y avait lieu de substituer aux taux retenus par l’administration, s’agissant des avances financées sur fonds propres, les taux moyens des avances sur titres pratiqués par la Banque de France, la CAA de Bordeaux a jugé qu’il ne résultait pas de l’instruction que les taux de rémunération que la société prêteuse aurait pu obtenir d'un établissement financier ou d'un organisme assimilé auprès duquel elle aurait placé, dans des conditions analogues, des sommes d'un montant équivalent auraient été supérieurs. Dès lors, il juge que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit au regard des règles de dévolution de la charge de la preuve en s’abstenant de faire peser sur la société la charge de prouver le caractère exagéré des taux d’intérêt retenus par l’administration par rapport à ceux que ses filiales roumaines auraient pu obtenir d’un prêteur indépendant dans les conditions du marché.
Le Conseil d’État complète ainsi le considérant de principe de la décision Sté Sodirep Textiles de 2015 (CE, 9 nov. 2015, n° 370974, Sté Sodirep Textiles : Lebon T.) relatif aux prêts sans intérêts, pour l’étendre aux avances sans intérêt.
En outre, il transpose à l’article 57 du CGI :
- la règle de dévolution de la charge de la preuve applicable sur le terrain de l’acte anormal de gestion (v. CE, 21 mai 2014, n° 364610, Sté Garage Boileau Lagache. - CE, 15 févr. 2016, n° 367753, Sté Cie immobilière d’aménagement) et ;
- le mode de détermination du taux d’intérêt retenu en matière d’acte anormal de gestion (v. CE, 7 oct. 1988, n° 50256, Min c/ Sté Etablissements Pierre Deveugle).
À noter que le Conseil d’État n’a, en l’espèce, pas eu à trancher la question de la distinction du mode de financement des avances de trésorerie à des sociétés liées telle que soulevée par la cour dans son arrêt du 22 novembre 2022.