#Mots-clés: Intégration fiscale, Produits de participations, Dividendes, Filiale suisse, État tiers à l’UE, Quote-part de frais et charges, QPFC, Neutralisation, Droit de l’Union européenne, Libre circulation des capitaux, Liberté d’établissement, Jurisprudence Steria
#Article du CGI/LPF: 216, 223 A, 223 B
#Convention fiscale:
#Pays:
L’affaire porte sur la neutralisation de la quote-part de frais et charges (QPFC) de 5 % (régime antérieur à la LFR 2015) afférente aux produits de participations distribués par une filiale suisse et pose la question de l’extension de la jurisprudence Steria, par laquelle la CJUE a jugé contraire à la liberté d’établissement les règles d’imposition des dividendes reçus de filiales établies dans d’autres États membres de l’UE qui auraient été éligibles au régime d’intégration fiscale si elles avaient été établies en France, aux dividendes de filiales établies hors de l’UE sur le fondement de la libre circulation des capitaux.
En l’espèce, une société française, tête d’un groupe fiscalement intégré, a demandé à l’administration fiscale la reconstitution de ses déficits reportables et la restitution de l’impôt sur les sociétés acquitté à raison de la QPFC de 5 % relative aux dividendes reçus au titre d’exercices clos de 2011 à 2015 de sa filiale de droit suisse dont elle détenait l’intégralité du capital.
La CAA de Paris, dans un arrêt du 6 octobre 2023 (CAA Paris, 6 oct. 2023, n° 21PA00260, Sté Axa SA, concl. B. Sibilli, C : FI 1-2024, n° 4, § 55, comm. V. Agulhon ; RJF 1/24 n° 12) confirmant le jugement du TA de Montreuil du 5 novembre 2020 validant la position de l’administration, a jugé qu’eu égard au pourcentage de détention de la société mère française dans sa filiale établie dans un État tiers, égal à 100 % de son capital, et à l’influence déterminante qu’elle lui permet d’exercer sur les décisions et l’activité de cette dernière, la libre circulation des capitaux n’est pas invocable pour obtenir la neutralisation de la QPFC relative aux dividendes reçus de cette filiale.
La société française s’est pourvue en cassation. Le Conseil d’État, suivant les conclusions du rapporteur public, rejette le pourvoi de la société.
Dans la décision Sté Rubis (CE, 25 avr. 2022, n° 439859, Sté Rubis, concl. É. Bokdam-Tognetti : Lebon T. ; FI 3-2022, n° 9, § 12, comm. C. Acard), le Conseil d’État a dégagé la grille d’analyse fondée sur la jurisprudence de la CJUE permettant de déterminer laquelle de la liberté d’établissement (TFUE, art. 49) ou de la libre circulation des capitaux (TFUE, art. 63) est invocable lorsqu’est mise en cause la légalité d’une réglementation affectant la participation d’une société résidente d’un État membre dans une société établie dans un pays tiers. S’agissant du régime de l’intégration fiscale prévu par les articles 223 A et s. du CGI, le Conseil d’État juge que ce dispositif relève de la seule liberté d’établissement eu égard au seuil de détention exigé pour faire partie d’un groupe fiscalement intégré. Au demeurant, l’arrêtSteria de la CJUE a été rendu au regard de l’article 49 du TFUE. Contrairement à ce que soutient la société requérante, l’extension du régime des groupes fiscalement intégrés aux groupes mutualistes ou coopératifs avec à leur « pointe » un organe central et non une société mère à raison de la structure capitalistique de ces groupes (capital détenu par les caisses locales) ne remet pas en cause la vocation et l’objet du régime d’intégration fiscale et ne conduit pas à basculer sur la libre circulation des capitaux au seul motif que le critère de l’exclusivité ne serait plus satisfait.
Le Conseil d’État substitue ce motif à celui retenu par la CAA de Paris fondé sur la détention à 100 % de sa filiale, alors que la détermination de la liberté invocable s’apprécie de manière objective.
La société avait soulevé à titre subsidiaire, deux autres moyens pour obtenir l’extension de la jurisprudence Steria aux dividendes distribués par sa filiale suisse.
Elle a ainsi invoqué l’accord entre la Suisse et la CEE concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, conclu le 10 octobre 1989. Le Conseil d’État écarte ce moyen considérant qu’eu égard à l’objet de cet accord, qui vise à déterminer les conditions d’exercice de l’activité d’assurance (autre que l’assurance sur la vie) par une agence ou une succursale d’une entreprise résidente, dans l’autre État contractant, aux fins de permettre la liberté d’établissement dans ce secteur d’activité, la société requérante ne pouvait se prévaloir de sa méconnaissance pour demander le bénéfice de la neutralisation de la QPFC afférente aux produits de participations distribués par sa filiale suisse.
La société a enfin invoqué les dispositions combinées de l’article 14 de la Convention EDH et de l’article 1er de son premier protocole additionnel aux termes desquelles il est précisé qu’une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire si elle n’est pas assortie de justifications objectives et raisonnables. Le Conseil d’État procède à une seconde substitution de motifs. Il transpose à la Convention EDH la décision du Conseil constitutionnel du 13 avril 2018 (CC, 13 avr. 2018, n° 2018-699 QPC, Sté Life Sciences Holdings France) qui a jugé que la différence de traitement, eu égard à la neutralisation de la QPFC, entre les groupes de sociétés dont les filiales sont établies dans un État membre et ceux dont les filiales sont établies dans un État tiers résultant de l’arrêt Steria était en rapport avec l'objet initial de la loi qui était de définir l'un des avantages attachés à l'intégration fiscale afin de garantir aux groupes se plaçant sous ce régime, qui ne concerne que des sociétés mères et filiales françaises, un traitement fiscal équivalent à celui d'une unique société dotée de plusieurs établissements. Le Conseil d’État opère la transposition de cette solution à la Convention EDH en s’inspirant de sa décision SA L’Air Liquide du 1er mars 2023 (CE, 1er mars 2023, n° 443678, SA L’Air Liquide, concl. R. Victor : Rec. Lebon ; FI 2-2023, n° 5, § 40, comm. T. Perrot ; RJF 5/23 n° 369) relative au précompte mobilier et aux termes de laquelle il a jugé que l’imposition des sociétés mères, lorsqu’elles redistribuent des dividendes en provenance de filiales établies dans un État tiers mais pas lorsqu'ils proviennent de filiales établies dans un État membre de l’UE autre que la France, est conforme à l’article 14 de la Convention EDH et à l’article 1er de son premier protocole additionnel dès lors que cette différence de traitement peut être regardée comme répondant à une justification objective et raisonnable liée au respect des exigences découlant du droit de l’UE.