#Mots-clés: Donation, Donation-partage, Partage
#Auteur: David¤ EPAILLY
#Qualités: Responsable pédagogique et scientifique sud-ouest, coordinateur national de la filière droit patrimonial de la famille pour l’INAFON
#Qualités: Président d’ALS Assistance Liquidation System, concepteur d’ALS.not
La question des places respectives de la donation et du partage dans les actes de donation-partage suscite depuis toujours des débats passionnés en doctrine et emporte des conséquences, très pratiques cette fois, sur la façon de concevoir l’acte (V. § 1). Un arrêt récent de la Cour de cassation fournit quelques éclairages sur le sujet qui invitent à s’interroger plus avant sur la particularité de la donation-partage en deux temps, sur l’importance des volontés respectives du donateur et des donataires-copartagés (V. § 5), sur la possibilité de réaliser une donation-partage au profit d’une seule personne (V. § 9), et sur la compatibilité de la décision rendue avec la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l’exigence de lots « divis » (V. § 10).
1. La nature « hybride » de la donation-partage, qui a déjà été évoquée dans les propos introductifs1, en fait son intérêt et sa complexité. Elle soulève des questions théoriques mais aussi pratiques que l’on retrouvera tout au long des différents articles de ce dossier, notamment au travers de la distinction, à la fois civile et fiscale, entre « apportionnements » et « allotissements »2.
2. En plus d’être transversal, le sujet est assez actuel, ce qui est une autre raison de lui consacrer cet avant-propos. En effet, la Cour de cassation s’en est indirectement emparé dans un arrêt du 13 février 20193, où il était question d’une donation-partage en « deux temps », telle que prévue par l’article 1076, alinéa 2 du code civil4, et du refus de deux des quatre enfants donataires de participer au partage par acte séparé (le second temps) dans les conditions que l’ascendant voulait imposer.
3. Allant sans doute au-delà de ce qui était nécessaire pour rejeter le pourvoi desdits enfants contestataires5, la Cour de cassation a considéré d’une part « […] que la donation-partage, qui peut être faite en deux temps ainsi que le prévoit l'article 1076 du code civil, ne constitue pas un partage ordinaire que les attributaires pourraient contester mais un partage fait par l'ascendant de son vivant et selon sa seule volonté » et, d’autre part, « que le partage d'ascendants se forme dès que l'un des enfants a accepté son lot […] [si bien] que le refus de certains bénéficiaires était sans effet sur la validité et l'opposabilité de la donation-partage […] ».
4. Même si les circonstances très particulières de l’espèce6 obligent à quelques réserves sur la portée de l’arrêt, on peut penser que la Cour de cassation, par la généralité de son propos, a souhaité prendre parti sur des débats qui agitent la doctrine relativement aux places respectives de la donation et du partage dans tous les actes de donation-partage, et pas seulement ceux relevant de l’article 1076, alinéa 2 précité.
5. Il semble possible en effet de voir dans cet attendu une consécration des arguments depuis longtemps défendus par le professeur Michel Grimaldi7. En indiquant que le partage résulte de « la seule volonté de l’ascendant », on retrouve l’idée de l’auteur selon laquelle la donation-partage, à l’instar du testament-partage dont elle constitue une simple déclinaison entre vifs8, procède avant tout de la volonté du disposant qui propose des lots que les enfants « ne peuvent qu’accepter ou refuser ». Quant à l’affirmation selon laquelle le « […] partage d’ascendant se forme dès que l'un des enfants a accepté son lot […] », on peut également y voir une référence à une autre thèse de l’auteur qui parvient à la même conclusion au motif que la donation-partage n’est pas une proposition globale de partage soumise à une approbation collective mais plutôt un « faisceau d’accords bilatéraux »9.
6. En validant dans l’arrêt une bonne partie de cette analyse, la Cour de cassation fournit des éléments de clarification utiles mais elle s’attire aussi les critiques déjà opposées à cette doctrine auxquelles s’ajoutent des objections directement liées aux circonstances de l’espèce.
7. En effet, s’agissant spécifiquement des donations-partages en deux temps, il a été justement relevé que l’acceptation de la donation par les enfants ne devrait pas les priver ensuite de tout rôle à jouer dans le partage ultérieur, d’autant que l’article 1076, alinéa 2 du code civil ne fait référence qu’à une simple « intervention » du donateur10. Par ailleurs, il n’est pas scandaleux par principe11 que les enfants puissent demander que le second acte respecte les engagements pris et formalisés dans le premier12, lequel demeure un contrat de donation soumis au principe d’irrévocabilité13.
8. Au-delà, et même pour les donations-partages en un seul trait de temps, s’il est vrai que l’aspect « attributif » est important et que les enfants sont d’abord des « copartagés », l’acte ne peut jamais être totalement imposé et il suppose même parfois une véritable « codécision ». C’est le cas notamment lorsque les ascendants entendent donner ensemble (cas de la donation-partage conjonctive), lorsque l’accord de l’enfant « intercalé » permet au donateur de préserver sa quotité disponible (cas de la donation-partage transgénérationnelle)14, et surtout lorsque les enfants sont aussi « copartageants » (cas de la donation-partage cumulative). Quant à la présentation de l’acte, s’il est vrai que la pratique notariale majoritaire (consistant à faire précéder le partage d’une « donation de droits indivis ») n’est pas toujours conforme à l’orthodoxie de la donation-partage15, la critique peut sans doute être tempérée par la fréquente nécessité de faire apparaître les allotissements et les apportionnements16.
9. Une autre critique, au-delà de l’affaire en cause, tient à l’admission implicite par la Haute juridiction d’une donation-partage au profit d’un seul donataire-copartagé17, alors qu’une doctrine majoritaire considère depuis longtemps que ce schéma dénature l’institution18 en lui faisant perdre sa dimension répartitive et donc, possiblement, ses vertus pacificatrices. Un commentateur de l’arrêt de 2019 écrit ainsi qu’« […] il est contestable d’accorder la qualification de donation-partage, et la stabilité d’un régime juridique protecteur, à un acte dont l’auteur vise moins à apaiser le règlement futur de sa succession entre ses enfants qu’à avantager l’un d’eux en préservant le moment venu des revendications de ses frères et sœurs […] »19. Cela dit, au vu de l’expérience de la pratique notariale, on peut raisonnablement penser que la donation-partage va rester encore longtemps un « pacte de famille » visant le plus souvent, et même si ce n’est pas obligatoire, au consensus, à l’unanimité20 et à l’égalité. Du reste, aucun auteur ne conseille vraiment, même quand il estime que l’acte serait licite, de réaliser des donations-partages au profit d’un seul enfant.
10. On notera enfin que l’arrêt est possiblement en contradiction avec une autre jurisprudence, qui semblait pourtant très ancrée, de la Cour de cassation. En effet, il vient d’être vu que celle-ci admet la possibilité de caractériser une donation-partage à partir de la première acceptation. Or, ce principe (général ?) a été posé au sujet d’une donation-partage en deux temps, dans laquelle deux des quatre enfants seulement avaient consenti au partage, mais où les quatre avaient bien accepté la donation. Par suite, si l’on considère, comme c’est généralement le cas, que le premier temps de la donation-partage prévu par l’article 1076, alinéa 2, du code civil crée une indivision21, il faut en déduire qu’à l’issue du deuxième temps s’est trouvée validée par la Cour de cassation une donation-partage comportant à la fois des lots « divis » et l’équivalent de « lots indivis » (ceux des donataires qui n’ont pas consenti au deuxième acte). Comment alors concilier cette décision avec la jurisprudence très largement commentée en 201322 qui considère qu’une telle donation-partage ne comportant qu’un partage partiel doit être disqualifiée pour le tout en un ensemble de donations ordinaires, présumées rapportables dans les conditions de droit commun ? La Cour de cassation serait sans doute inspirée de le préciser dès qu’elle en aura l’occasion…
11. Sur ce point comme sur d’autres, et nonobstant les quelques apports de cet arrêt, les débats sur les places respectives de la donation et du partage dans les actes de donation-partage nous semblent être assez loin d’avoir trouvé leur conclusion.