
Marie-Gabrielle MERLOZ
Maître des requêtes au Conseil d'État

Maître des requêtes au Conseil d'État
#Mots-clés: Établissement stable, Économie numérique, marketing digital, Impôt sur les sociétés, taxe sur la valeur ajoutée, TVA, Irlande, Activité occulte, erreur, pénalité, découverte
#Article du CGI/LPF: 1728, L. 169, L. 176
#Convention fiscale: Irlande (1968)
#Pays: Irlande
Le Conseil d’État se prononce en seconde cassation dans l’affaire Conversant. Il est saisi d’un pourvoi croisé contre l’arrêt du 8 décembre 2021 (CAA Paris, 8 déc. 2021, n° 20PA03971, Sté Conversant International Ltd, concl. J. Jimenez : FI 1-2022, n° 3, § 13, comm. B. Gouthière) par lequel la CAA de Paris a conclu à l’existence en France d’un établissement stable, dans le domaine du numérique, d’une société irlandaise et confirmé les rectifications d’impôts afférentes mais a écarté la qualification d’activité occulte et l’application des pénalités de 80 %.
Pour rappel, l’affaire concerne une société irlandaise qui exerçait une activité de marketing digital en recourant aux services d’une société française du groupe qui était chargée d’identifier et de prospecter sa clientèle et de lui rendre également diverses prestations d’assistance administrative. L’administration fiscale a estimé que la société irlandaise exerçait en France une activité imposable, par l’intermédiaire d’un établissement stable constitué par sa société sœur française et a conclu à l’existence d’une activité occulte. Elle a par conséquent assujetti la société irlandaise à un rappel d’impôt sur les sociétés au titre des années 2009, 2010 et 2011, de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 10 avril 2008 au 30 novembre 2012 et à des pénalités de 80 % pour activité occulte.
Les juridictions du fond se sont opposées : par un jugement du 7 mars 2017, le TA de Paris a confirmé la position de l’administration, la CAA a quant à elle prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt mis à la charge de la société irlandaise par un arrêt du 1er mars 2018. Le Conseil d’État a ensuite annulé l’arrêt d’appel par une décision du 11 décembre 2020 (CE, plén. fisc., 11 déc. 2020, n° 420174, Min. c/ Sté Conversant International Limited, concl. L. Cytermann : Rec. Lebon ; FI 1-2021, n° 01, G. Blanluet ; FI 1-2021, n° 3.4, comm. S. Lauratet et P. Nicolas ; FI 1-2021, n° 2, § 43, comm. E. Raingeard de la Blétière ; FI 1-2021, n° 3, § 14, comm. R. Coin) et renvoyé l’affaire à la CAA de Paris dont l’arrêt du 8 décembre 2021 est l’objet du pourvoi.
Par la présente décision, le Conseil d’État confirme l’existence d’un établissement en France et considère que la société irlandaise a exercé une activité occulte en France.
Il prend appui sur la décision de première cassation et vérifie que la CAA de Paris, sur renvoi, a bien appliqué la manière de qualifier l’existence d’un établissement stable tant au regard de l’impôt sur les sociétés que de la TVA.
Concernant le délai de reprise (et la pénalité) en cas d’activité occulte, la décision du Conseil d’État se situe dans le sillage de la décision de plénière du 7 décembre 2015, Min. c/ Sté Frutas y Hortalizas Murcial SL (CE, plén. fisc., 7 déc. 2015, n° 368227, Min. c/ Sté Frutas y Hortalizas Murcial SL : Rec. Lebon, p. 423) et de chambres réunies du 27 novembre 2020, Kowalewski (CE, 27 nov. 2020, n° 428898, Kowalewski, concl. C. Guibé : Lebon T., p. 680-696 ; FI 2-2021, n° 9, § 39, comm. A. Iljic).
Par sa décision du 11 décembre 2020, le Conseil d’État avait jugé que la société française, exerçant une activité de marketing digital, constituait un établissement stable de la société irlandaise en France, au sens de la convention franco-irlandaise du 21 mars 1968. La CAA de renvoi avait estimé que la jurisprudence n’avait adapté la notion traditionnelle d’établissement stable à l’économie numérique que postérieurement aux années en litige, ce dont elle avait déduit que la société irlandaise avait commis une erreur de bonne foi justifiant qu’elle ne se soit pas acquittée de ses obligations déclaratives en France au titre des activités de l’établissement stable que constituait pour elle la société française. La cour en avait déduit que cette société ne pouvait être regardée comme ayant exercé une activité occulte au sens des articles L. 169 et L.176 du LPF et de l’article 1728 du CGI. Elle avait en conséquence prononcé la décharge des cotisations d’impôt sur les sociétés et des rappels de TVA auxquels la société irlandaise avait été assujettie pour la période antérieure au délai de reprise de droit commun, ainsi que des pénalités de 80 % pour activité occulte mises à sa charge.
Par la présente décision, le Conseil d’État juge toutefois, d’une part, que, par sa décision du 11 décembre 2020, il s’est borné à éclairer l’application au cas particulier de ces sociétés irlandaise et française des critères permettant de caractériser un établissement stable, tels que dégagés par sa jurisprudence et celle de la CJUE antérieurement aux années en litige. Il relève, d’autre part, que le niveau d’imposition, en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, était, au cours des années en litige, substantiellement inférieur en Irlande par rapport à la France. Il en conclut que la société irlandaise devait être regardée comme ayant exercé une activité occulte au sens des articles L. 169 et L. 176 du LPF et de l’article 1728 du CGI.
Annexe 2 : CE, 3e et 8e ch., 15 mars 2024, n° 464216, Million-Rousseau, concl. M.-G. Merloz : Lebon T.
Annexe 1 : CE, 3e et 8e ch., 3 mai 2023, n° 434441, Sté BNP Paribas, concl. M.-G. Merloz : Lebon T.
Annexe 3 : CE, 3e et 8e ch., 20 mars 2023, n° 452718, Walch, concl. M.-G. Merloz, inédit au recueil Lebon
Annexe 2 : CE, 3e et 8e ch., 12 mai 2022, n° 444994, Librati, concl. M.-G. Merloz
Annexe 2 : CE, 3e et 8e ch., 11 févr. 2022, n° 442061 et 442062, Carrozza, concl. M.-G. Merloz
Annexe 3 : CE, ass., 28 oct. 2020, n° 428048, Charbit, concl. M.-G. Merloz
Une société holding britannique, devenu société-mère dans le cadre d'une opération de LBO, se finance auprès d’une banque et consent des avances aux sociétés membres du groupe. L’administration fiscale réintègre partiellement, par application du I de l’article 212 du CGI, les intérêts ainsi acquittés auprès de sa mère par la société requérante, filiale de ce groupe. Le Conseil d’État juge, conformément aux conclusions du rapporteur public, que la société ne prouve pas que le taux pratiqué par sa mère est inférieur ou égal au taux qu'elle aurait pu obtenir auprès d'établissements financiers indépendants dans des conditions analogues en faisant valoir, d’une part, que le taux litigieux correspondait au taux prévu dans le contrat de financement du groupe auprès de la banque, qui est indépendante du groupe, et d’autre part que, l'ensemble de ses actifs ayant été apporté en garantie dans le cadre du contrat de financement du groupe, elle n'aurait pu obtenir de prêt d'aucun établissement financier indépendant.
Alors que cette décision contribue à fixer un cadre sur les modes de preuve admissibles, une analyse, audacieuse peut-être, tend à rapprocher les dispositions de la preuve contraire des règles applicables aux prix de transfert. Si cette convergence se confirme, les principes OCDE pourraient alors apporter un nouvel éclairage sur certains sujets non encore tranchés.
Annexe 3 : CE, 9e et 10e ch., 8 févr. 2019, n° 410301 et 410568, Min. c/ Esch, concl. M.-G. Merloz
Annexe 5 : CE, 9e et 10e ch., 18 mars 2019, n° 410573, Sté Ediprint, concl. M.-G. Merloz