Clothilde GRARE-DIDIER
Professeur à l’Université Paris Cité
Professeur à l’Université Paris Cité
Régime matrimonial - Communauté de biens - Apport de biens communs à une société - Renonciation par un époux à sa qualité d'associé lors de l'apport -Revendication ultérieure de cette qualité - La Cour de cassation considère que la renonciation par l'époux à sa qualité d'associé lors de l'apport fait à une société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l'unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité.
Cass. com., 19 juin 2024, n° 22-15.851, FS-B (V. annexe 2)31
Concubinage - Prescription des créances - La Cour de cassation refuse la transmission d'une QPC soutenant la contrariété à la Constitution de l'inapplication aux concubins de l'article 2236 du code civil, selon lequel la prescription ne court pas ou est suspendue entre époux ou partenaires de PACS.
Cass. civ. 1re, 10 juill. 2024, n° 24-10.157, F-B (V. annexe 3)37
#Mots-clés: Régime matrimonial, contrat de mariage, convention matrimoniale, liberté
#Article du code civil: 1387
#Auteur: Clothilde¤ GRARE-DIDIER
#Qualités: Professeur à l’Université Paris Cité
Au cœur de l’ingénierie des conventions matrimoniales s’inscrit un principe cardinal de notre droit patrimonial de la famille : la liberté des conventions matrimoniales (V. § 1). Aujourd’hui, les contextes politique, économique, sociologique et juridique dans lesquels il prend corps ont profondément changé (V. § 3). Affirmé haut et fort dans la lettre du texte, libéré dans le cadre des changements de régime, il peine néanmoins à exprimer toutes ses potentialités tant certaines prévisions sont mises à mal à l’heure des ruptures conjugales (V. § 12). Pourtant, les attentes des couples en termes de sécurité ont rarement été aussi grandes et variées (V. § 7). L’ingénierie classique doit aujourd’hui encore progresser ; il n’y a jamais eu autant besoin d’une ingénierie des conventions de mariage solide et sécurisée, et elle n’a jamais été aussi difficile à réaliser tant certaines jurisprudences récentes de la Cour de cassation perturbent à l’heure de la dissolution les équilibres voulus et actés dans les conventions (V. § 11). C’est finalement à une réflexion sur la place de la loi, de l’ordre public et donc du contrat qui aujourd’hui doit être menée (V. § 12 à 14).
1. « La loi ne régit l'association conjugale, quant aux biens, qu'à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu'elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent » (C. civ., art. 1387). Cette règle de liberté , à peine retouchée en 1965, fait partie de l’ADN de notre droit civil depuis 1804. Elle est régulièrement présentée comme permettant de passer ou non un contrat de mariage, de choisir par contrat de mariage son régime matrimonial parmi les modèles du code civil, d’aménager un modèle, de combiner les modèles, de choisir un régime non réglementé par le code civil voire d’imaginer son régime1. L’essentiel est de respecter les limites assignées par les textes, et plus précisément les articles 1388 et suivants. Les choses apparaissent a priori simples : la convention de mariage ne doit pas contrevenir au statut fondamental de la famille, à la prohibition des pactes sur successions futures ou à l’ordre public matrimonial, porté en grande partie aujourd’hui par le régime primaire impératif.
2. Une stabilité apparente qui néanmoins ne confine en rien à l’immobilisme. En effet, cette stabilité de la règle technique ne signifie pas immobilisme des enjeux qu’elle porte. Elle a d’abord été un choix politique, celui de permettre, au moment de l’unification du droit français, de ne pas heurter les traditions opposées des pays de coutume et de droit écrit. Une liberté affirmée dès 18042, mais dans un environnement particulièrement restrictif : immutabilité du régime matrimonial, prohibition des contrats entre époux et un ordre successoral dont le conjoint survivant était quasiment exclu. Un fusil à un coup pour les époux, où plus souvent leurs pères à l’époque, dans un périmètre bien délimité ! Cette règle prend corps plus de deux siècles après dans un environnement politique fondamentalement renouvelé et des sociologies en constante mutation ; elle s’articule encore avec des perspectives et des attentes économiques renouvelées, et s’inscrit enfin dans un ensemble juridique toujours plus complexe. La stabilité du principe de liberté ne peut camoufler la réalité de l’évolution profonde des contraintes qui lui sont assignées et des attentes qu’il est susceptible de porter.
3. Le mariage, et la charte matrimoniale qui pouvait l’accompagner, participait avant tout à faire de la famille la première composante de la cohésion sociale3. Partant, l’ordre public était volontairement tourné vers cet objectif politique de premier plan. Sans aujourd’hui ignorer la famille dont le mariage reste un acte fondateur, il apparait néanmoins que cet ordre public « familial », et donc fondamentalement collectif, est aujourd’hui concurrencé par d’autres considérations plus individualistes qui conduisent à s’intéresser aux époux , voire à chacun d’eux individuellement. Plusieurs temps ont ponctué ce mouvement.
4. Des sociologies en constante mutation, qu’il convient de mesurer autant qu’il est possible9, sollicitent l’imagination, elles suggèrent de proposer de nouvelles formules de régimes matrimon i aux pour répondre à de nouveaux besoins. La sociologie de la famille et du couple a profondément changé. À l’unicité du modèle conjugal a succédé la pluralité des conjugalités. La multiplication des divorces et des secondes unions, l’apparition du PACS en 1999, réformé en 2006, l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe en 2013 et, dans une moindre mesure, la reconnaissance marginale au-delà du droit civil des concubins ont encore modifié des lignes de partage sécurisantes. À la hiérarchie des filiations a succédé l’égalité et finalement la neutralisation des qualifications qui de longue date les gouvernaient. S’y sont évidemment ajoutées l’existence et la revendication de reconnaissance de familles recomposées qui ne doivent pas et ne peuvent pas être ignorées dans la lecture de ce que sont aujourd’hui les pactes conjugaux. Vouloir pour demain pour soi ou au-delà de soi ne peut que modifier les clefs d’une bonne convention de mariage. Au-delà de la sociologie de la famille, c’est la sociologique du travail qui aujourd’hui percute nos règles de droit ; la généralisation du travail des femmes à l’évidence mais pas seulement. Les métamorphoses et la diversification des modes d’exercice de l’activité professionnelle invitent encore à la réflexion à l’heure d’un régime légal de communauté de biens entre époux encore conçu sous la férule discrète du modèle d’époux salariés.
5. Les attentes économiques nouvelles marquent un besoin de sécurité croissant. L’État providence a rendu plus prégnante la mise en place d’une protection économique minimale. Au-delà encore de la mise en place d’une sécurité sociale et d’une retraite par répartition, le développement d’un « droit de la faillite » et d’un « droit du surendettement » atteste d’une exacerbation aujourd’hui des enjeux passifs des trajectoires individuelles, cette évolution n’a pas pu rester sans écho dans la conjugalité où le partage des richesses a pour corolaire celui des déboires. Les enjeux passifs télescopent notre régime légal au point que certains, et depuis plus de 20 ans en viennent à interroger le maintien de l’article 1413 du code civil10. Le droit privé n’a pas non plus pu s’abstraire des enjeux portés par certains biens particuliers portant parfois l’incarnation du collectif, comme le logement de la famille, parfois la marque de l’individu avec les instruments de travail et biens dits « professionnels ».
6. C’est finalement aujourd’hui un tableau complexe qui se dessine pour une matière à la stabilité législative étonnante. Depuis 1804, des réformes ponctuelles ont eu lieu, au demeurant d’inégale importance ; une réforme magistrale a fait entrer le droit des régimes matrimoniaux dans son époque, elle a eu lieu en deux temps, 1965 puis 1985. Pour une matière promise à une certaine désuétude dès le discours préliminaire du code civil, on peut être amusé de la façon avec laquelle l’histoire déjoue les pronostics de ceux qui veulent la prédire…. Elle est depuis 1985 laissée en marge des réformes profondes du droit civil qui ont cadencée l’entrée du code civil dans le XXIe siècle.
7. Pourtant, l es mutations évoquées ci-dessus ne peuvent aujourd’hui que se répercuter sur les conventions de mariage, et l’importance des défis qu’elles doivent relever. Comment assurer la pacification du divorce sans en amont s’inquiéter de la rédaction des contrats de mariage et de la stabilité des prévisions contractuelles qu’ils enferment ? Comment permettre la protection d’un conjoint survivant dans l’équilibre d’une transmission aux enfants parfois d’un premier lit ? Comment sécuriser les parcours à deux dans un principe participatif quand les déboires professionnels sont susceptibles de ruiner la famille ? Comment sécuriser un environnement professionnel sans s’exposer aux risques d’une rupture conjugale voulue ou subie susceptible de porter atteinte à la viabilité de l’entreprise de l’un des époux ? Comment appréhender la diversification de la sociologie des unions conjugales sans accepter de dépasser les modèles du code civil et de revisiter les potentialités du contrat d’organisation patrimoniale ?
8. Aux attentes des couples, à l’incertitude des situations individuelles, aux contraintes plurielles un instrument apparait tout indiqué pour y répondre : le pacte conjugal. Acte d’anticipation, de prévisibilité, le contrat de mariage participe tout à la fois de la domestication d’un futur incertain et d’un apaisement d’un choix opéré en amont et à deux. L’ingénierie des conventions matrimoniales est au confluent de ces enjeux qui irriguent de façon profonde et durable notre société et le champ des possibles reste immense.... Ce champ est-il aussi exploré qu’il pourrait l’être ?
9. L’audit opéré en amont de l’union peut classiquement conduire à l’éviction du régime légal par l’adoption d’un autre modèle , dans la majorité des cas celui de la séparation de biens. On sait que les traditions, l’existence de patrimoines constitués en amont du mariage ou encore l’existence de risques passifs liés à l’activité professionnelle conduisent au choix d’une séparation de biens ; tout comme la réussite d’une vie à deux peut amener des époux à modifier leur régime pour permettre au pacte conjugal de servir demain la protection du survivant par le biais d’avantages matrimoniaux connus et maîtrisés : communauté universelle, attribution intégrale, préciput, etc. Les aménagements peuvent aussi s’avérer plus fins, plus proches de ce que sont les patrimoines des époux par le jeu par exemple, en communauté, de clauses d’apports ou d’exclusion en communauté faisant varier les périmètres des masses.
10. Au-delà, la créativité notariale a agi notamment dans deux sens particuliers14. D’une part en assurant la promotion d’instruments adaptés aux situations contemporaines. Ainsi, par exemple en développant et en sollicitant la reconnaissance légale des aménagements permettant une liquidation alternative, le notariat a développé une technique permettant d’assurer une équité ajustée à la cause de dissolution du mariage et en a, à plusieurs reprises, assuré la promotion15. L’ingénierie notariale a aussi, d’autre part, su ajuster ses stipulations à l’aune des jurisprudences rendues par la Cour de cassation. On pense par exemple aux clauses conduisant à l’exclusion des revenus des propres à la suite de la jurisprudence de 199216, utile en présence de couples disposant de patrimoines propres aux consistances différentes. On pense encore aux clauses conduisant à réajuster les modalités d’évaluation des créances entre époux à la suite de la jurisprudence de 200817 ayant rompu avec la logique de la dette de valeur lorsque le profit subsistant s’avère inférieur à la dépense faite.
11. Cette ingénierie devenue classique doit aujourd’hui se poursuivre dans un contexte en partie tourmenté. C’est pour tenter de résorber les difficultés contemporaines nées du périmètre de la contribution aux charges du mariage que doctrine et notariat aujourd’hui se mobilisent ; difficulté dont s’est d’ailleurs saisi le 118e congrès des notaires de France18. Les difficultés se révèlent ici d’une autre ampleur. La Cour de cassation, par une jurisprudence aujourd’hui acquise, a étendu le champ de la contribution aux achats immobiliers en indivision dans le cadre des séparations de biens, déjouant ainsi profondément les prévisions liquidatives des époux mariés sous ce principe séparatiste19. Cette réflexion est en réalité délicate. L’emprise de l’ordre public sur la contribution aux charges du mariage rend ces aménagements, si ce n’est incertains20, du moins difficile à concevoir21. À cette extension de l’ordre public par la jurisprudence s’ajoute aujourd’hui l’articulation à concevoir entre sécurité des conventions de mariage et un droit du divorce renouvelé. En particulier, la perturbation qui naît de l’article 265 du code civil et du principe chronologique qu’il porte en matière de révocation ou de maintien des avantages matrimoniaux est forte et particulièrement manifeste au sujet de la neutralisation de la clause d’exclusion des biens professionnels en participation aux acquêts22 dénoncée par nombre d’auteurs23. À l’aune de ces exemples, on mesure finalement qu’il n’y a jamais eu autant besoin d’une ingénierie des conventions de mariage solide et sécurisée et qu’elle n’a jamais été aussi difficile à réaliser. Reste en définitive à entendre les causes de cette difficulté qui confine à l’insécurité.
12. À certaines fébrilités traditionnelles du n otariat, négligeant trop souvent le modèle de la participation aux acquêts ou réclamant au gré de ses congrès la validation législative de clauses issues de la pratique, on pouvait être tenté de répondre : saisissez-vous des modèles et de la liberté des conventions matrimoniales ! À la vérité , on mesure qu’aujourd’hui l’exercice est périlleux…24 Outre une responsabilité notariale lourde, peut-être trop lourde quand elle rend le notaire non pas seulement responsable de son conseil25 mais en réalité responsable du choix opéré par les époux26, quelles sont les sources de cette frilosité contemporaine ? L’auteur en est ciblé : la Cour de cassation ! Que l’on parle de la clause d’exclusion des biens professionnels dans la participation aux acquêts ou des acquisitions en indivision dans la séparation de biens, ce qui est mis à mal est la prévision des parties dans le contrat à la suite de jurisprudences de la Cour de cassation27. Au-delà des critiques qui ont pu être menées sur l’une et l’autre de ces jurisprudences et auxquelles il est permis de souscrire, au-delà des propositions qui sont faites pour tenter d’en limiter les conséquences, il reste que dans un cas comme dans l’autre le bât blesse pour la même raison : l’anticipation est mise à mal, le contrat est déjoué et l’équilibre voulu à l’heure de l’union ne sera pas respecté à l’heure de la désunion. Que la Cour de cassation souhaite lutter contre le résultat inéquitable auquel peut arriver la liquidation des intérêts patrimoniaux en application du régime pourrait être louable si une telle intention ne venait pas à ce point perturber les prévisions de la charte patrimoniale. Ce qui heurte est l’imprévisibilité qu’engendrent ces jurisprudences et l’insécurité qu’elles font aujourd’hui planer sur ces contrats.
13. Le tableau pourrait conduire à reculer face aux obstacles. Il est heureux néanmoins que ces difficultés ne font renoncer pour l’heure ni le n otariat, le congrès de 202228en atteste, ni la doctrine. Bien qu’étant sans doute et pour l’heure un terrain miné, la liberté des conventions matrimoniales reste une source de potentialités qui doit être explorée. Les questions sont variées et nombreuses, parmi lesquelles celle des aménagements passifs ; elle a pu intéresser par le passé29, elle mérite d’être reprise30. Il est ici des questions sur lesquelles il ne faut s’aventurer à l’évidence que d’une main experte tant les enjeux et les chausse-trapes sont nombreux dès qu’il est question d’obligation à la dette. Outre l’importance du droit de gage des créanciers, le crédit des ménages constitue un enjeu quotidien de premier plan. L’organisation de la répartition immédiate ou à terme des avoirs reste encore à explorer en partie, pour arriver à l’équilibre d’un principe participatif contrôlé et sûr. En cherchant à déjouer ce qui apparait inéquitable à un instant pour un couple dans un divorce, les jurisprudences de la Cour de cassation déstabilisent toutes les prévisions des autres. Comment ne pas penser que les solutions aujourd’hui acquises sur l’article 214 ou sur la clause d’exclusion ne trouveront pas leur épilogue dans une généralisation trop grande de la séparation de patrimoines qui sera au demeurenat plus ou moins bien gérée selon le degré d’information des époux… ? Comment ne pas penser que l’instabilité qu’elle génère n’entrave pas encore de façon trop sérieuse la recherche de nouveaux modèles31 ?
14. Poursuivre ces réflexions ne pourra se faire qu’en revenant aux fondamentaux : quelle place doit-on donner à la liberté des conventions matrimoniales et quelle sécurité offre-t-on aux prévisions contractuelles des personnes mariées ? Loin de nous l’idée d’évincer tout ordre public dans ce domaine ; bien au contraire, il doit exister et être parfaitement identifié. Loin de nous encore l’idée de renoncer à l’idée que la loi peut et même doit porter un modèle dans l’ordre civil de l’union maritale qui doit se prolonger sur le terrain patrimonial par une « solidarité » active et passive minimum et pouvant être étendue ; bien au contraire, c’est aussi cette association patrimoniale qui sert l’institution du mariage. Il reste qu’une telle mission échoit avant tout au législateur, qui doit en fixer les limites de façon claire et permettre aux volontés individuelles librement exprimées de déployer leurs effets. Mais au-delà des questions devant demeurer dans le giron d’un ordre public légiféré, quelle doit-être la répartition des rôles entre loi et contrat ?
15. Le mariage est une conjugalité. La conjugalité est certes une affaire de sentiments ; elle est aussi une manière de vivre à deux où se joue le destin patrimonial des conjoints. Elle est cette « société conjugale » qui permet que se réalisent des économies et les gains au jour le jour et aussi que se construisent des patrimoines conjugaux et/ou individuels dont il s’agit d’ordonner l’existence ou l’absence de répartition entre ceux qui en sont les acteurs. La loi civile générale abstraite et impersonnelle en dessine un régime légal dont la supplétivité n’a jamais été moins raisonnable qu’à l’heure où les couples mariés sont aussi divers. Les contrats de mariage et leurs conventions modificatives, que les couples se donnent pour loi, n’ont quant à eux jamais été aussi nécessaires pour garantir la vitalité des régimes matrimoniaux. Alors quand le contrat paraît devoir progresser dans toutes les contrées du droit de la famille, explorer l’ingénierie des conventions matrimoniales est une nécessité non seulement pour les époux et le notariat, mais plus largement pour l’ensemble de la société civile.
1 V. par ex. J. Flour et G. Champenois : Les régimes matrimoniaux : Armand Colin, 2e éd., 2001, n° 159.
2 M. Beaubrun, L’esprit de la société conjugale, in Le discours et le code : Litec, 2004, p. 361.
3 Y. Lequette, Le droit est la semence des mœurs, in Le discours et le code, préc., p. 391.
4 C. civ., art. 215, al. 3.
5 L’article 214 du code civil porte pour chacun une obligation de contribuer aux charges du mariage, charges auxquelles sont affectés prioritairement les revenus de leur industrie personnelle par l’article 223 du code civil ; l’article 220 du code civil les soumet à une solidarité ménagère légale.
6 C. civ., art. 229-2, 1° et 1397.
7 S’ils n’avaient pas par le passé la qualité de partie, ils n’étaient pas exactement des tiers penitus extranei, tant que l’objet de la convention de mariage était au premier chef de réaliser l’intérêt de la famille impliquant la prise en compte de l’intérêt propre de chaque enfant des époux.
8 C. civ., art. 758-6.
9 I. Dauriac, En terre inconnue : une ingénierie des conventions patrimoniales susceptibles de franchir les frontières liées au pluralisme des conjugalités ? : IP 4-2023, n° 02.6.
10 P. Simler, Pour un autre régime légal, in L’avenir du droit, Mél. F. Terré : Dalloz-PUF-JCl., 1999, p. 455, spéc. p. 460 et s.
11 I. Dauriac et C. Grare-Didier, Projet d’EIRL : l’enjeu pour la famille : Defrénois 15 avr. 2010, n° 39096, p. 819. - C. Grare-Didier, EIRL et patrimoine conjugal : LPA 28 avr. 2011, p.15. - P. Simler, EIRL et communauté de biens entre époux : JCPG 2011, 4. - A. Karm, Le patrimoine affecté de l’EIRL et les régimes matrimoniaux : Defrénois 30 mars 2011, n° 39217, p. 576. - C. Goldie-Génicon, L'articulation du statut de l'entrepreneur individuel et du droit patrimonial de la famille : BJE juill. 2023, n° BJE201c4.
12 C. com., art. L. 526-26 issu L. n° 2022-172, 14 févr. 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante : IP 2-2022, n° 6, § 1, comm. L. Chatain ; IP 1-2023, n° 02.
13 I. Dauriac et C. Grare-Didier, Famille, entreprise : les deux vies de l’entrepreneur individuel : IP 1-2023, n° 02.3.- Q. Guiguet-Schielé, L’articulation du nouveau patrimoine professionnel de l’entrepreneur avec son régime matrimonial : Gaz. Pal. 12 avr. 2022, n° 12, p. 43. - C. Charwartz-Lair et C. Lisanti, Régimes matrimoniaux et nouveau statut de l’entrepreneur individuel : JCPN 2022, 1290. - S. Deville, Nouveau statut de l’entrepreneur individuel et régime matrimonial légal : une fausse bonne idée : Gaz. Pal. 2022, L439j9.
14 Pour un audit ciselé des aménagements conventionnels fruits de l’imagination notariale de longue date, v. dans ce dossier F. Letellier, La créativité notariale dans les régimes matrimoniaux : entre imagination et contraintes, Libres propos sur les aménagements conventionnels des contrats de mariage : IP 4-2023, n° 02.2.
15 Ibidem.
16 Cass. civ. 1re, 31 mars 1992, n° 90-17.212 : Defrénois 30 sept. 1992, p. 1121, obs. G. Champenois ; JCPG 1993, II, 22003, note J.-F. Pillebout et 22041, note A. Tisserand ; RTD civ. 1993, p. 401, note F. Lucet et B. Vareille.
17 Cass. civ. 1re, 24 sept. 2008, n° 17-19.710 : JCPG 2008, I, 202, obs. M. Storck ; D. 2008, p. 3050, obs. V. Barabé-Bouchard ; RTD civ. 2009, p. 162, obs. B. Vareille. De manière générale, v. A. Karm, Les mutations des créances entre époux, in Mél. G. Champenois : Defrénois, 2012, p. 453, spéc. no 25 et s.
18 L’ingénierie notariale. Anticiper, conseiller, pacifier pour une société harmonieuse, Marseille, 2022, n° 30101 et s., p. 663 et s.
19 Cass. civ. 1re, 15 mai 2013, n° 11-26.933 : Bull. civ. I, n° 94. - Cass. civ. 1re, 12 juin 2013, n° 11-26.748 : D. 2013, 2242, obs. V. Brémond. - Cass. civ. 1re, 18 déc. 2013, n° 12-17.420 : D. 2014, 527, note F. Viney.
20 F. Letellier, La créativité notariale dans les régimes matrimoniaux : entre imagination et contraintes, préc. Cf. par ailleurs la proposition du 118e congrès des notaires de France (Marseille, 2022, préc.) de modification de l’article 214 pour sécuriser une clause restrictive du périmètre des charges : « Le 118e congrès propose de permettre la contractualisation du périmètre des charges du mariage.Pour ce faire, il y a lieu de rajouter un nouvel alinéa à l’article 214 du Code civil comme suit :“Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.Les époux peuvent, dans leur convention matrimoniale, définir les dépenses qui relèvent ou non des charges du mariage.Si l’un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l’autre dans les formes prévues au code de procédure civile.” »
21 I. Khayat, Domestiquer l’obligation de contribution aux charges afférente à l’achat du logement : IP 4-2023, n° 02.3.
22 Cass. civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-26.337, concl. A. Caron-Déglise : Bull. civ. ; IP 2-2020, n° 4, § 11, comm. C. Grare-Didier et R. Canalès ; IP 2-2020, n° 4.3, comm. C. Farge. ; D. act. 23 janv. 2020, note Q. Guiguet-Schielé ; D. 2020, p. 635, note T. Le Bars et L. Mauger-Vielpeau ; D. 202, 1058, chron. E. Buat-Ménard ; AJ fam. 2020, 126, obs. N. Duchange ; RTD civ. 2020, 175 et 178, obs. B. Vareille ; JCP 2020, 225, note J.-R. Binet ; JCPN 2020, 1059, note A. Karm ; Dr. famille 2020, 44, note S. Toricelli-Chrifi ; Defrénois 2020, n° 9, p.23, note F. Letellier, et n° 22-23, 160b8, p. 43, obs. I. Dauriac.
23 V. not., dans ce dossier, F. Letellier, La créativité notariale dans les régimes matrimoniaux : entre imagination et contraintes, préc. - E. Rousseau, Contrat de mariage de l’époux entrepreneur : retour sur la clause d’exclusion des biens professionnels : IP 4-2023, n° 02.4.- I. Dauriac, En terre inconnue : une ingénierie des conventions patrimoniales susceptibles de franchir les frontières liées au pluralisme des conjugalités ?, préc.
24 Au point que certains considèrent aujourd’hui ce principe de liberté des conventions matrimoniale comme « assez théorique » (F. Letellier, La créativité notariale dans les régimes matrimoniaux : entre imagination et contraintes, préc.) ou regrettent que « Faute de véritable concurrence, la séparation de biens impose donc sa progression dans un paysage des conventions matrimoniales dont les perspectives se rétrécissent au point de donner à penser que de facto le principe de liberté des conventions matrimoniales serait à son tour voué à se recroqueviller sur une alternative unique : régime légal de communauté d’acquêts ou séparation de biens. » (I. Dauriac, En terre inconnue : une ingénierie des conventions patrimoniales susceptibles de franchir les frontières liées au pluralisme des conjugalités ?, préc.).
25 Cass. civ. 1re, 30 avr. 2014, n° 13-16.380 : Defrénois flash, 13 mai 2014, n° 123b3, p. 1.
26 Cass. civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 16-19.619, F-P+B : Defrénois flash 22 oct. 2018, n° 147q0, p. 12 ; N. Couzigou-Suhas, Contrat de mariage et responsabilité du notaire : Defrénois 28 nov. 2019, n° 154d0, p. 24 ; Gaz. Pal. 8 janv. 2019, n° 339h8, p. 54, obs. P. Peltzman.
27 I. Dauriac et C. Grare-Didier, La Cour de cassation et l’article 214 du code civil : le miroir aux alouettes : IP 4- 2020, n° 03.1.
28 118e congrès des notaires de France, tout entier tourné vers l’ingénierie notariale.
29 F. Letellier, La créativité notariale dans les régimes matrimoniaux : entre imagination et contraintes, préc.
30 J. Houssier, Un domaine inexploré de l’ingénierie des conventions matrimoniales : les règles relatives au passif : IP 4-2023, n° 02.5.
31 I. Dauriac, En terre inconnue : une ingénierie des conventions patrimoniales susceptibles de franchir les frontières liées au pluralisme des conjugalités ?, préc.
Régime matrimonial - Séparation de biens - Obligation de contribution aux charges du mariage - Financement de la construction d'un immeuble par apport en capital - La Cour de cassation juge qu'il résulte de l'article 214 du code civil que, sauf convention contraire des époux, l'apport en capital de fonds personnels, réalisé par un époux séparé de biens pour financer l'amélioration, par voie de construction, d'un bien personnel appartenant à l'autre et affecté à l'usage familial, ne participe pas de l'exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage.
Cass. civ. 1re, 5 avr. 2023, n° 21-22.296, FS-B (V. annexe 2)
Régime matrimonial - Communauté de biens entre époux - Récompense - Évaluation - La Cour de cassation rappelle, en présence d'une construction sur terrain propre financée par des deniers communs, la méthode de calcul de la récompense. Les juges du fond avaient évalué la récompense à la valeur vénale de la construction seule hors terrain, alors qu'elle aurait dû être déterminée en déduisant de la valeur globale du bien au jour de la liquidation de la communauté celle qu'aurait eu ledit bien en l'absence des travaux financés par la communauté.
Cass. civ. 1re, 30 nov. 2022, n° 21-13.662, F-D (V. annexe 2)
Régime matrimonial - Communauté de biens entre époux - Parts sociales - Revendication de la qualité d'associé - Renonciation tacite - La Cour de cassation juge que la renonciation à la revendication par l'époux commun en biens de l'article 1832-2 du code civil peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer.
Cass. com., 21 sept. 2022, n° 19-26.203, FS-B (V. annexe 2)
#Auteur: Isabelle¤ DAURIAC
#Qualités: Professeur à l’Université Paris Cité
#Qualités: Membre du CEDAG
#Auteur: Clothilde¤ GRARE-DIDIER
#Qualités: Professeur à l’Université Paris Cité
#Qualités: Membre du CEDAG
La loi du 14 février 2022 pourrait être d’une mise en œuvre particulièrement délicate en présence d’un couple marié. L’automaticité de la séparation des patrimoines qui poursuivait un objectif de protection et de sécurité va s’avérer d’une complexité sans précédent en présence d’une communauté de biens, tant la combinaison des règles de passif de ce statut avec celle de la communauté n’a pas su retenir l’attention des pouvoirs publics (V. § 11). L’analyse de cette articulation révèle encore une asymétrie criante entre les catégories de créanciers, sans qu’elle ait été parfaitement explorée (V. § 15). Quant à la circulation du patrimoine professionnel, voulu comme une universalité de droit, elle pourrait révéler au contact du droit patrimonial de la famille des effets inattendus qui auraient sans doute mérité la réflexion (V. § 20).
Mariage - Protection du logement de la famille - Donation de la nue-propriété de l'immeuble - La Cour de cassation réitère la solution résultant de son arrêt du 22 mai 201943 qui avait considéré qu'un conjoint marié peut procéder, seul et sans l'accord de l'autre conjoint, à la donation de la nue-propriété de l'immeuble constituant le logement de la famille en stipulant une réserve d'usufruit à son seul profit. En effet selon elle, une telle opération ne porte aucunement atteinte à la jouissance du logement familial par les époux pendant le mariage.
Cass. civ. 1re, 22 juin 2022, n° 20-20.387 (IP 4-2022, n° 5, § 8)
Divorce - Créances entre époux - Évaluation - Financement de dépenses d'acquisition et de travaux d'un immeuble personnel - En cours d'union, un époux marié sous le régime de la séparation de biens procéda à l'acquisition d'un immeuble en propre. Son conjoint finança la moitié de cette acquisition (prise en charge de la moitié des échéances des emprunts contractés pour l'acquisition, acquittées au moyen de liquidités présentes sur le compte joint des époux). Il finança de la même façon des travaux d'amélioration réalisés sur le bien. Lors du divorce des époux, un conflit s'éleva quant à l'évaluation de la créance due par le conjoint propriétaire de l'immeuble vis-à-vis de l'autre conjoint. Les juges du fond évaluèrent cette créance entre époux en appliquant à la valeur actuelle du bien après travaux (247.000 €), la proportion que représente la dépense faite par le conjoint contributeur (24.045 €) par rapport à la valeur actuelle du bien sans travaux (115.000 €). La Cour de cassation censure l'arrêt d'appel pour n'avoir pas distingué la créance réclamée au titre des dépenses d'acquisition du bien de celle réclamée au titre des dépenses d'amélioration. Elle rappelle tout d'abord que, s'agissant de la dépense d'acquisition, le calcul du profit subsistant s'effectue en établissant la proportion de la contribution du conjoint au paiement du coût global de l'acquisition puis en l'appliquant à la valeur du bien au jour de la liquidation de la créance selon son état lors de l'acquisition. Elle rappelle ensuite que, s'agissant de la dépense de travaux d'amélioration, le calcul du profit subsistant s'effectue en établissant la proportion de sa contribution au paiement des travaux puis en l'appliquant à la différence existant entre la valeur au jour de la liquidation du bien amélioré et celle qui aurait été la sienne sans les travaux.
Cass. civ. 1re, 22 juin 2022, n° 20-20.202 (V. annexe 3)
Divorce - Résidences séparées des époux en cours de procédure - Attribution de la jouissance exclusive de la résidence principale de l'entrepreneur individuel à son épouse - Insaisissabilité de la résidence principale de l'entrepreneur individuel - Le liquidateur judiciaire d'une entreprise de coiffure a souhaité saisir l'immeuble qui constituait la résidence principale de l'entrepreneur individuel et de son épouse à l'époque de l'ouverture de la procédure collective. À première vue, cette résidence était insaisissable par les créanciers professionnels en application de l'article L. 526-1 du code de commerce. Or, depuis l'ouverture de la procédure collective, une ordonnance de non-conciliation rendue dans le cadre de la procédure de divorce des époux avait attribué à l'épouse de l'entrepreneur individuel la jouissance exclusive de ladite habitation dans le cadre de l'organisation judiciaire de la résidence séparée des époux au long de la procédure de divorce. La Cour de cassation juge que pour cette raison, la résidence principale de l'entrepreneur n'était plus située dans cet immeuble appartenant aux deux époux, de sorte que la protection de l'article L. 526-1 du code de commerce devait être écartée. Ses créanciers professionnels pouvaient donc saisir ses droits sur le bien.
Cass. com., 18 mai 2022, n° 20-22.768 (V. annexe 2)
Communauté - Privilège du prêteur de deniers - Consentement du conjoint à l'emprunt - La Cour de cassation décide, au motif que l'article 1415 du code civil prévoit que chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint, et bien que l'acte de prêt souscrit par un seul époux sous le régime de communauté ne soit pas inefficace, que la mise en œuvre du privilège de prêteur de deniers est subordonnée au consentement de son conjoint à l'emprunt.
Cass. civ. 1re, 5 mai 2021, n° 19-15.072 (V. annexe 3)
Aide mutuelle des partenaires de PaCS - Résidence principale indivise des partenaires - Remboursement personnel exclusif de l'emprunt - La Cour de cassation juge que l'aide matérielle des partenaires de PaCS neutralise la créance réclamée par l'un d'eux au titre du remboursement personnel exclusif de l'emprunt lié à l'acquisition de la résidence principale indivise des partenaires.
Cass. civ. 1re, 27 janv. 2021, n° 19-26.140 (V. annexe 5)
Séparation de biens - Logement de la famille - Caution solidaire - Licitation du logement indivis - Des époux mariés sous le régime de la séparation de biens étaient propriétaires indivis de leur résidence principale. L'épouse s'était engagée, en tant que caution solidaire, à garantir le remboursement d'un prêt bancaire octroyé à une société dont elle était associée. Ladite société ayant été placée en liquidation judiciaire, son créancier a cherché à recouvrer sa créance auprès de sa caution solidaire. Disposant d'un droit de provoquer le partage des biens indivis de son débiteur pour recouvrer ses droits, la banque a assigné les époux en ce sens s'agissant de l'immeuble indivis qui constituait le logement de la famille. Vainement, les époux ont opposé au créancier la protection de ce logement résultant du régime primaire du mariage, celle-ci ne pouvant jouer à l'égard d'un créancier d'un époux indivisaire, sauf hypothèse de fraude.
Cass. civ. 1re, 16 sept. 2020, n° 19-15.939 (V. annexe 2)
Communauté - Liquidation - Récompense - Évaluation - La Cour de cassation rappelle les règles d'évaluation des récompenses dues à la communauté qui a financé partiellement l'acquisition d'un bien propre d'un époux.
Cass. civ. 1re, 14 oct. 2020, n° 19-13.702 (V. annexe 3)
Concubinage - Dépenses de la vie courante - Construction du logement - La Cour de cassation considère que financer la construction du logement commun des concubins constitue pour celui qui n'est pas propriétaire du fonds une contribution aux dépenses de la vie courante.
Cass. civ. 1re, 2 sept. 2020, n° 19-10.477 (V. annexe 4)
#Auteur: Clothilde¤ GRARE-DIDIER
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#Auteur: Isabelle¤ DAURIAC
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Une législation du divorce renouvelée et un droit des régimes matrimoniaux étonnamment stable… Le contraste peut saisir et conduire à quelques interrogations sur les articulations entre ces deux branches du droit patrimonial de la famille.
Au travers de quelques questions choisies, tant civiles que fiscales ou internationales, les auteurs de ce dossier ont tenté de cibler certaines difficultés de coordination contemporaines de ces deux disciplines. Les constats sont de nature variée.
Un droit civil qui évolue via des jurisprudences dont l’analyse révèlent qu’elles s’intègrent mal dans l’édifice législatif et risquent de mettre en péril un pilier du droit de régimes matrimoniaux.
Un droit fiscal qui n’appréhende que bien imparfaitement la réalité sociologique du divorce.
Un droit international privé qui ouvre des perspectives en termes de stratégie patrimoniale que le droit interne français ignore.
Une ingénierie des contrats de mariage de plus en plus sollicitée et délicate à mettre en œuvre.
Ces thèmes aujourd’hui rassemblés invitent à une réflexion sur toutes les articulations qui les innervent.
#Auteur: Isabelle¤ DAURIAC
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#Auteur: Clothilde¤ GRARE-DIDIER
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Depuis 2013, la Cour de cassation propose une définition étendue des charges du mariage (V. § 1). Remettant en cause la prévision initiale des époux, en particulier ceux mariés sous le régime de la séparation de biens, cette nouvelle interprétation de l’article 214 du code civil prend les traits d’un rééquilibrage pour tempérer les effets excessifs du régime à l’heure du divorce (V. § 2). Derrière cette apparence se cachent néanmoins de véritables difficultés : quel est le champ d’application de cette jurisprudence ? Comment s’articule-t-elle avec la prestation compensatoire ? N’est-elle pas une atteinte disproportionné à la liberté des conventions matrimoniales ? (V. § 9). On en vient finalement à redouter les précarités qu’elle entraine tant pour les époux que pour les notaires (V. § 10).
1.« Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
2. Dans les mains du juge, l’article 214 du code civil est un instrument parmi d’autres - société créée de fait, enrichissement injustifié - pour neutraliser ou tempérer des conséquences excessives et inéquitables de l’arithmétique liquidative. Pour avoir régi la vie à deux des époux qui ont refusé de s’associer au plan patrimonial, la séparation de biens peut consolider des injustices au temps du divorce. L’injustice du régime apparaît dès que l’un des époux a su, telle la fourmi, capitaliser ses revenus et augmenter son patrimoine personnel quand l’autre, sans pour cela être cigale, a assumé les besoins du ménage. Tant qu’il ne s’agit que de corriger d’inégales contributions par le jeu de subtiles compensations - ce que d’ailleurs le législateur a soin d’expliciter en PaCS5 -, les décisions judiciaires continuent d’offrir l’image d’une répartition classique des rôles entre loi, convention des époux et office du juge.
3. Pourtant depuis 20137, cet ordonnancement est exposé à n’être plus qu’un décor de façade. C’est plus sûrement à éteindre la créance de celui des époux qui aura financé au-delà de sa part contributive l’acquisition d’immeubles indivis affectés à l’usage exclusif de la famille que sert désormais l’article 214 du code civil. Dès lors que la dépense d’investissement concerne un bien affecté au logement de la famille ou à sa résidence secondaire8, sous la plume de la Cour de cassation, elle change de qualification pour devenir une charge de mariage. Lors de la liquidation de ces indivisions conjugales, le devoir de contribuer aux charges se dresse pour interdire l’éventuel recours contributif du mari à l’encontre de celle qui, pour avoir été son épouse, est aussi devenue propriétaire pour moitié de biens au financement desquels elle n’a pas participé. Parfois saluée9, le plus souvent discutée, cette jurisprudence bien connue trahit la faille qui se creuse entre le palais et le législateur quand il faut rechercher le périmètre des devoirs qui s’imposent encore à ceux qui, pour avoir été mariés, ne sauraient l’oublier même après le mariage dissout.
4. L’idée d’une possible stabilité du modèle du mariage a d’ores et déjà été démentie sous la pression de facteurs démographiques et des mutations sociologiques de la conjugalité. L’allongement de la durée de la vie est moins propice à la permanence des unions qu’à leur succession dans le temps et aux recompositions familiales induites. Le mariage est devenu une étape sur des trajectoires individuelles vers le bonheur. À ces mutations, le législateur a répondu. L’entrée dans le code civil du concubinage et du PACS a privé le mariage de son rôle de modèle pour la conjugalité10. L’enfant est désormais relié au couple parental. Venu supplanter le rattachement traditionnel de l’enfant au mariage de ses parents, le couple parental vient déconnecter le statut de l’enfant de la conjugalité qui relie ou non ses parents. En s’ouvrant à tous les couples, le mariage a renoncé à la promotion d’un modèle conjugal fondé sur la différenciation sexuelle. Le divorce conventionnel a siphonné sa dimension institutionnelle, et l’achèvement de la déjudiciarisation du changement de régime matrimonial a fait tomber ses dernières transcendances familiales. On ne peut que le constater : la législation moderne libéralise, déjudiciarise et finalement privatise l’union conjugale, en général, et le mariage, en particulier. Le voilà bientôt réduit à n’être plus qu’une affaire de mœurs privées.
5. En décidant que, relative au logement de la famille, la dépense d’investissement assumée par l’époux indivis au-delà de sa part contributive n’est que contribution aux charges du mariage, exclusive de toute créance contre celle qui fut son épouse, la Cour posait le premier jalon d’une politique favorable aux épouses dans le divorce.
6. La politique jurisprudentielle de la Cour de cassation subit l’évidente imprégnation du modèle de la communauté réduite aux acquêts. À l’heure où le législateur inscrit les partenaires de PaCS sous le régime de la séparation des patrimoines, sauf option contraire pour l’indivision d’acquêts, par l’usage qu’elle fait de l’article 214 du code civil, la haute juridiction marque du sceau communautaire le contrat de séparation de biens conclu par les époux désireux de tenir à distance le régime légal.
7. Les données démographiques établissent une corrélation entre les désunions et l’accélération de la paupérisation des femmes laissées seules avec enfants. Le lien est suffisamment sérieux pour que la justice ne fasse pas preuve de cécité. La nécessité de protéger l’époux réputé faible dans le divorce pourrait commander une jurisprudence en équité soucieuse de restaurer ou promouvoir un nouveau solidarisme contractuel propre au couple. La voie empruntée pour y parvenir n’est toutefois pas sans danger. Quand le mariage peine à refouler les égoïsmes individuels, ce serait plus sûrement à la loi qu’il devrait incomber de cantonner le pouvoir octroyé aux volontés individuelles et conjugales. Le fait que le juge s’érige, sans texte, en ministre d’équité chargé d’une police des comportements expose à l’insécurité de l’aléa judiciaire les époux comme les tiers.
8. Quelles frontières, pour l’ordre public jurisprudentiel ? La première inquiétude tient à la délimitation de son champ d’application tant il se montre tributaire de circonstances concrètes par définition mouvantes.
9. Quelles perturbations cette jurisprudence induit-elle ? Une première est saillante et tient à l’articulation de ces solutions avec les instruments naturels du rééquilibrage économique par divorce et donc avec la prestation compensatoire, et ce d’autant qu’avec les réformes de la prestation compensatoire de 2000 et 2004, ses modalités actuelles permettent beaucoup.
10. On en vient finalement à reprocher à cette jurisprudence d’avoir oublié qu’une ingénierie contractuelle particulière se joue dans les contrats de mariage. À mots couverts aujourd’hui, la convention est aussi là - et voulue - pour contenir et enfermer les clefs d’une répartition des biens à l’occasion d’une séparation. Déjouer cette prévisibilité, c’est mettre à mal la convention sans que l’enjeu en soit perceptible puisque notamment la prestation compensatoire existe. Cette jurisprudence qui frappe aujourd’hui la pratique des conventions matrimoniales, conduit nécessairement à s’interroger sur la possibilité de l’endiguer et dans l’affirmative sur les limites de ces possibilités. Le Notariat use de clauses dont la fragilité pourra demain se révéler pour des contrats dont on sait qu’ils peuvent quand même durer un peu… Parmi elles, on peut en particulier songer à celles qui tentent de déterminer un périmètre ad hoc des charges du mariage ou encore celles qui s’attaquent aux règles de preuve. C’est finalement à une véritable précarité que cette jurisprudence condamne les époux et le Notariat.
1 Au visa des articles 214, 226 et 1388 du code civil, la Cour de cassation énonce en attendu de principe que « les conventions conclues par les époux ne peuvent les dispenser de leur obligation d’ordre public de contribuer aux charges du mariage » (Cass. civ. 1re, 13 mai 2020, n° 19-11.444 : IP 3-2020, n° 4, § 1, comm. R. Canalès).
2 « si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage » : observons que la formulation atteste que le pouvoir de la convention demeure sous l’empire de l’ordre public énoncé par le texte. En effet, la formule consacrée en matière de règle supplétive de volonté étant plutôt « sauf convention contraire des parties ».
3 J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux : Armand Colin, 2e éd., 2001, n° 66.
4 Au point que la clause stipulant que « chacun des époux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet », s’apparente à une clause de style dont l’efficacité et la portée n’en sont pas moins source de contentieux (v. par ex. Cass. civ. 1re, 25 sept. 2013, 12-21.892 : D. 2013, 2682, note A. Molière. - Cass. civ. 1re, 15 mai sept. 2013, n° 11-26933 : D. 2013, 2242, note V. Brémond. - dernièrement Cass. civ. 1re, 13 mai 2020, n° 19-11.444, préc.
5 C. civ., art. 515-7, al. 11 pour le PaCS « Sauf convention contraire, les créances dont les partenaires sont titulaires l'un envers l'autre sont évaluées selon les règles prévues à l'article 1469. Ces créances peuvent être compensées avec les avantages que leur titulaire a pu retirer de la vie commune, notamment en ne contribuant pas à hauteur de ses facultés aux dettes contractées pour les besoins de la vie courante »
6 Celle d’une union institutionnelle fondamentale, dont la loi assurerait la défense et préserverait la cohérence. Le mariage resterait une union de deux époux égaux et consentants, instituée pour durer, faite de droits et de devoirs et leur ouvrant un large choix des possibles sur le terrain de l’avoir par le jeu de la liberté des conventions matrimoniales. Sa dissolution entre vifs demeurerait alors un accident à l’heure duquel le rôle de la loi serait d’assurer une forme de police des comportements individuels qui serait trop empreints d’un individualisme exacerbé d’un des époux. Pas de mariage sans un minimum de communauté d’intérêts.
7 V., pour l’émergence de cette jurisprudence, Cass. civ. 1re, 15 mai 2013, préc. - Cass. civ. 1re, 12 juin 2013, n° 11-26.748 : D. 2013, 2242, obs. V. Brémond.
8 Cass. civ. 1re, 18 déc. 2013, n° 12-17.420 : D. 2014, 527, note G. Viney.
9 A. Tisserand-Martin, La contribution aux charges du mariage, mécanisme régulateur du régime matrimonial, in Mél. Champenois : Defrénois, 2012, p. 803.
10 Avec un paradoxe toutefois ; la pluralité des conjugalités est revendiquée pour permettre à tous l’épanouissement dans une forme de couple. Cette pluralité est aussi parfois éclipsée à l’heure de revendiquer dans deux conjugalités différentes des droits identiques.
11 Sur ce mouvement, v. Y. Lequette, Le droit est la semence des mœurs, Le discours et le code : Litec, 2004, p. 391 ; du même auteur, Observations sur la « nominalisme législatif » en matière de filiation, in Études offertes à Geneviève Viney : LGDJ, 2008, p. 647.
12 Cass. civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-20.828 : IP 1-2020, n ° 4, § 12.
13 On rappellera que la solidarité ménagère est exclue pour les dépenses d’investissement.
14 J.-P. Levy et A. Castaldo, Histoire du droit civil : Dalloz, 2e éd., 2010, n° 1064, spéc. p. 1464.
15 « Les époux ne peuvent plus stipuler d’une manière générale que leur association sera réglée par l’une des coutumes, lois ou statuts locaux qui régissaient ci-devant les diverses parties du territoire français, et qui sont abrogés par le présent Code ».
16 « Les époux ne peuvent déroger ni aux droits résultant de la puissance maritale sur la personne de la femme et des enfants, ou qui appartiennent au mari comme chef, ni aux droits conférés au survivant des époux par le titre de la Puissance paternelle et par le titre de la Minorité, de la Tutelle et de l’Émancipation, ni aux dispositions prohibitives du présent Code ».
17 Cass. civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-23.913 (1re esp.) et Cass. civ. 1re, 20 nov. 2019, n° 16-15.867 (2e esp.) : IP 1-2020, n° 4, § 1, comm. I. Dauriac.
Divorce - Participation aux acquêts - Liquidation - Avantage matrimonial - Révocation - Des époux, tous deux professionnels de santé, s'étaient mariés sous le régime de la participation aux acquêts. À l'occasion de leur divorce, un contentieux s'est élevé au sujet d'une clause de leur contrat prévoyant qu'en cas de dissolution de leur régime matrimonial par divorce, leurs actifs et passifs professionnels seraient exclus de la liquidation. Or l'article 265 du code civil prévoit que le divorce emporte la révocation de plein droit des avantages matrimoniaux ne prenant effet qu'à la liquidation du régime matrimonial. Contrairement aux juges du fond, la Cour de cassation juge que la clause en question constituait un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime matrimonial et donc révoqué de plein droit par le divorce.
Cass. civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-26.337, concl. A. Caron-Déglise (IP 2-2020, n° 4.3, comm. C. Farge)
#Auteur: Clothilde¤ GRARE-DIDIER
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Marié ou pacsé et associé, une combinaison qui doit être appréhendée avec prudence. Le droit des régimes matrimoniaux et du PaCS n’ignore pas l’existence des droits d’associé. Pour autant, l’articulation demeure délicate, tant quand la question est celle de la titularité de la richesse que celle de la distribution des pouvoirs dans les régimes et dans la société.
Majeurs protégés - Droits matrimoniaux - La loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice octroie plus d'autonomie aux majeurs protégés pour la conclusion d'un mariage, d'un PACS ou d'un divorce, en remplaçant l'autorisation préalable par une information préalable permettant à la personne chargée de la protection d'éventuellement s'opposer à l'opération.
L. n° 2019-222, 23 mai 2019 de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice, art. 10 : JO 24 mars 2019 (V. annexe 1)
Changement de régime matrimonial - Délai - Homologation - La loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice supprime le délai minimal de 2 ans qui séparait la célébration du mariage de la modification du régime matrimonial. En outre, elle simplifie la procédure de changement en présence d'enfants mineurs et clarifie les règles applicables en présence d'enfants majeurs protégés.
L. n° 2019-222, 23 mai 2019 de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice, art. 8 : JO 24 mars 2019 (V. annexe 7)
Communauté de biens entre époux - Substitut de revenus - La Cour de cassation rappelle par deux fois dans une même affaire que les gains et salaires et produits de l'industrie des époux, quelle que soit leur forme, font partie de la communauté.
Cass. civ. 1re, 17 avr. 2019, n° 18-15.486 (V. annexe 8)
Prestation compensatoire - Conversion de la rente en capital - La Cour de cassation juge que quelle que soit la forme de la rente versée au titre d'une prestation compensatoire, le débiteur a toujours la faculté d'en demander la substitution.
Cass. civ. 1re, 20 mars 2019, n° 18-13.663 (V. annexe 9)
Communauté de biens entre époux - Plus-value - Bien propre - La Cour de cassation rappelle que la plus-value d'un bien propre n'est pas un bien commun.
Cass. civ. 1re, 5 déc. 2018, n° 18-11.794 (V. annexe 3)
Communauté universelle - Clause d'attribution intégrale - Passif - La Cour de cassation juge, dans le cadre d'une communauté universelle, que les dettes nées d'un emprunt obligent et sont supportées définitivement par l'époux attributaire de l'intégralité de la communauté, sans égard pour son absence d'autorisation à l'emprunt au jour de sa souscription.
Cass. civ. 1re, 5 déc. 2018, n° 16-13.323 (V. annexe 4)
Concubinage - Financement du logement - La Cour de cassation affirme que le devoir de conscience peut faire obstacle à la reconnaissance d'une créance de celui qui a financé le logement.
Cass. civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-27.855 (V. annexe 6)